Corne d'Or le druide entra avec grand bruit, et héla le maître de maison en se dirigeant vers la table jouxtant la cheminée.

- Bien le bonjour, tavernier ! Je compte réserver cette table en prévision d'une éventuelle compagnie ! Est-ce possible, mon brave ?

Il fixa le tavernier de ses yeux sombres et déterminés, son fidèle corbeau posé sur l'épaule en faisant de même.

- Euh... Bien entendu, messire druide ! Mais hélas les cargaisons de bière ne sont pas encore arrivées... Vous comprenez, les aventuriers ne sont censés arriver au village que dans deux semaines !

Le Tavernier débarrassa la table des breloques qui y étaient entreposées, et s'en alla dans une courbette.

Le druide rappela un instant le tavernier.

- Eh, apportez-moi au moins une soupe de saison.

Il jeta trois pièces d'or sur la table.

- Mettez-y un peu de nectar, histoire de me redonner un peu d'énergie !

- Eh bien, monsieur, c'est que je ne suis pas censé avoir de nectar non plus...

Un silence.

- Bon, je vous mettrais les dernières gouttes qu'il me reste... Et dites-moi, comment se nomme votre compagnie ?

- Merci, mon bon. Hum, eh bien... Vous n'avez qu'à l'appeler provisoirement "Chiens de Guerre". Vous pouvez disposer.

Le druide posa sa bouteille de chouchen et quelques peaux d'ours sur la table, en allumant une bougie afin de finir de l'agrémenter en attendant sa camarade de combat.

Isy poussa la porte de la taverne, comme à son habitude, dans un vacarme métallique assourdissant. Marquant une pose, elle chercha le vieux druide des yeux, puis, l'ayant repéré près de la cheminé, marcha vers lui d'un pas assuré

Navrée d'avoir été si longue cher druide, mais le sang de gobelin tache, me fallait à tout prix lustrer ma lame au risque de la perdre sous la rouille.

Elle observa la table, puis s'assied en face du vieil homme

Je vois que vous avez déjà fait de cet endroit le votre!

Contrairement aux précédents aventuriers, le barde n'avait eut aucun mal a entrer dans la pièce sans faire de bruit. Fatigué par la longue nuit qu'il venait de passer à chanter sous le clair de lune, il prit place à côté du druide et se mit à lui parler non sans un ton sarcastique.

- Elektore, ma grive, m'a fait part que plus tard dans la soirée, vous êtes partis affronter une tronche de furoncles ? Elle m'a dit de plus, que cette odieuse créature vous a touché. Si tu veux mon humble avis, rien de tout cela ne serait arrivé si je fusse là. J'm'en vais te dire un secret d'ailleurs, rien que par prestance et ma grandiloquence, ce juvénile aurait passé le plus de temps à me regarder qu'à répondre à vos coups. Imaginez les occasions qui auraient pu s'offrir à vous. Mais je t'accorde ma grâce et j'oublie cet oubli, un climat de tension n'est point bon pour mon teint.

Le barde sortit alors son luth et se mit à entonner quelques notes quand il vit la bouteille posée sur la table.

- Que vois-je ? Mais c'est de l'hydromel ? Rien ne vaut du miel pour débuter une bonne journée. Oh mais regarde dans le coin de cet taverne, je crois qu'il ait inscrit quelques runes.

Profitant de l'inattention du druide, Ersaishania se servit un verre.

Le druide, réveillé par les jacassements des deux pipelettes, leva la tête de la fourrure d'ours dans laquelle elle était enfouie.

- Fichtre, les amis, vous en avez mis du temps ! J'ai eu le temps de boire tout le précieux liquide et remplir la bouteille de mon urine !

Il regarda le barde interrompre sa boisson, interloqué.

- Alors comme ça tu veux te joindre à nous, jeunot ! Parfait, il faut bien un souffre-doul... Un excentrique dans toute compagnie !

Le druide sortit une seconde bouteille, pleine de délicieux chouchen cette fois, de sa besace et la posa sur la table durement.

- Buvons à notre association, les jeunes !

Isy éclata d'un grand rire sonore

Pauvre de toi le barde!! Ne t'as-t-on jamais appris à ne jamais rien prendre aux anciens qu'ils ne t’eussent donné? Plus le singe est vieux meilleurs sont ses farces!
Je prendrais bien de cette bouteille pleine que tu viens de sortir Corne d'Or, son fumet m'a l'air plus appréciable!

La paladin regarda le barde, puis éclata de nouveau de rire, secouant son armure qui accompagna sa voix par ses cliquetis

Alors qu'Ersaishania semblait pétrifié, Corne d'Or servit un verre à la jeune femme.

-Voilà pour toi ! Et tiens, le barde, remets-toi un peu sur pied, il te faudra des forces pour narrer nos aventures épiques !

Il remplit un nouveau verre d'hydromel qu'il fit glisser jusqu'au troubadour, qui ne cillait pas et fixait son premier verre avec dégoût, sa peau devenant aussi verte et pâle que du vieux lichen.

- A nos futures conquêtes, à notre fortune à venir, et à la gloire resplendissante qui émanera de notre périple !

- A nos futures conquêtes, à notre fortune à venir, et à la gloire resplendissante qui émanera de notre périple !

Répéta Isy en levant son verre, avant de le boire d'une traite

- Et bien, il est fameux votre alcool mon cher Corne d'Or!

- Hé hé, authentique alcool de cérémonie Celte ! Dans les forêts de Gäladrim, le druide en boit et en fait boire à ceux qu'il désire bénir. Cet alcool est communément appelé par chez nous "Sang de la Nature". On le consomme afin de se mettre en transe et entrer en contact avec les dieux et la terre. Il fait souvent tomber les femmelettes à la renverse, mais pour une guerrière comme toi cela fait bien l'affaire ! Quand notre barde aura repris ses esprits, je me demande comment lui y réagira...
Cette boisson est concoctée à partir de miel d'abeilles de la forêt de Gäladrim, que l'on mélange à l'eau des sources druidiques sacrées. On y ajoute ensuite pendant la fermentation quelques abeilles conservées, dont le venin se diffusera dans l'alcool. Pour terminer, un peu de sève de Gui est versée dans la mixture à mi-préparation. Quelques années plus tard, le Sang de la Nature est prêt. Et voici tout l'art de cet alcool proche de l'hydromel ou du chouchen celte !

- Je ne pensais pas que la fabrication d'alcool était si longue et compliqué! Moi je ne fais que le boire, et en général, plus il est cher, plus il est bon, mais moins il dure! Le tien ne ferais pas trois heures entre trois de mes soldats! Garde le précieusement loin de mon gosier assoiffé druide! Ou je boirais toutes tes réserves! Et connaissant mes bras, pour tout ce qui est autre que la guerre, je serais incapable de t'en refaire!

Elle éclata à nouveau d'un rire gras

- Ha ha, je devrais être à même d'en trouver quelque part ! Tant que tu es sous ma bénédiction je te laisserais boire de ce nectar sacré, mais je doute que tu tiennes plus de 5 verres, sans quoi ton cervelet finirait en bouillie, attaqué par le venin. C'est qu'on ne rigole pas avec l'alcool par chez nous, il faut que ce soit un assommoir efficace ! Je pense même m'en servir afin d'endormir la vigilance de quelque garde un de ces jours, ce pourquoi il faut tout de même l'économiser...

Le druide resservit un verre au paladin avant de refermer la bouteille et la glisser dans son sac de toile.

- J'y prendrais garde, vieil homme! Je ne tiens pas à devenir aussi bête que les gobelins que je me plait tant à occire!!

Elle avala son verre d'une traite

- Et sinon, que faisons nous dans ce pays, à part nous farcir des êtres puant et boutonneux? N'y a-t-il pas des quêtes à accomplir?

Le druide, amusé par les yeux du paladin qui commençait à loucher à cause du venin, répondit dans un petit rire.

- En réalité, les aventuriers n'étaient pas attendus avant deux semaines, ce pourquoi le village est mort. Dixit le tavernier, Roger. Je suppose que l'on peut néanmoins s'amuser dans la nouvelle salle ouverte dans la caserne, il me semble qu'ils l'ont lancée pour que l'on ne s'ennuie pas. Et il reste également le casino pour s'enivrer de vice ! Et puis, le calme avant la tempête est toujours agréable à ressentir... J'aime cette plénitude...

Le druide semblait heureux, appréciant le moment présent.

- Je comprend ce que tu dis, Druide. Chez nous, les Paladins des Plaines, on profite des moments de répit avant la bataille pour méditer, et prier pour toutes les âmes que nous allons bientôt prendre. Ou pour nous enivrer jusqu'à plus soif, pour être bien alerte le moment venue.
Mais je ne serais pas contre aller à la caserne et tuer du monstre! Bien que mon bras ne soit plus aussi assuré qu'avant le 2ème verre de ton alcool d'abeille, je pense pouvoir en occire un certain nombre! Il faudrait aussi que j'aille chez le marchand, j'ai cet arc qui ne me sert à rien dont je me débarrasserait bien contre quelques pièces d'or.

- C'est un carquois, Paladin ! Je sais que vous n'êtes pas experts en ces armes à distance, qui sont pour vous déloyales. Certes, j'irais bien également à la caserne, mais fichtre, j'aime la chaleur de ce foyer !

Les joues rougies par son Sang de la Nature, le druide semblait comblé et avait l'air d'apprécier ces sièges de chêne comme s'ils étaient des fauteuils rembourrés de plumes d'oie.

- Je vois ça. Mais en tant que paladin, j'ai toujours eu du mal à profité de la quiétude. Il me faut en permanence de l'action. Surtout que mon emploi du temps c'est bien relâché depuis que j'ai quitté les miens. Plus d'entrainement au aurores, ni de combats à cheval... Ces équidés me manquent, ils sont fidèle et bien utile. Si j'avais assez de pièces d'or et que je savais ou aller, j'irais sûrement m'en chercher un!

Elle s'étira

- Et dans tout les cas, il faut que je me dégourdisse les muscles, je vais aller voir ce marchand, histoire de vider ma besace de toutes ces choses inutile qui l'encombrent. J'irais ensuite à la caserne, si le coeur vous en dit, rejoignez moi!

Elle se leva

- A plus tard, Corne d'Or. Je saurais ou vous trouver!


Sur ce, elle sorti, trainant toujours avec elle soin brouhaha de métal.

Le barde n'avait pas bougé d'un pouce après la cuisante humiliation qu'il venait de subit, décidément, la chance n'était point son amie. Mais n'était pas encore né celui qui achèverait le musicien. Une fois la paladine partit, il fut grandement étonné de voir le druide s'assoupir si vite. Ni une, ni deux, il décida de profiter de cette occasion afin de se venger. Plus méfiant que la dernière, il s'assura bien que le druide dormait avant de lui jouer un tour digne du fils du plus grand roublard de tous les temps. D'un clin d’œil furtif, il ordonna à sa grive de pilonner le mécréant de tout ce qu'elle pouvait. Qu'elle ne fut point leur joie à la vue d'un tel ivrogne aussi souillé.

(-Tu ne l'as pas volé cette récompense. Ma foi, puisque tu veux que je vante tes exploits, on verra ce que les prochains aventuriers pensent du druide qui avait passé une longue sieste enduit de guano.)

Humble dans chaque circonstance, il décida de laisser un petit mot au druide afin de le prévenir qu'un barde en barde en colère n'apportait rien de bon. Le mot rédigé, il sortit de la taverne comme il en était rentré : sur la pointe des pieds avec l'agilité du vent.

Le vieillard leva la tête, et sentit les craquements de fiente séchées dans ses cheveux.

- Ah, ces jeunes freluquets se vexent pour un rien...

D'un bond agile, il se transforma en corbeau, débarrassant son humble corps de ces dépôts qui lui étaient étrangers. Puis il se posa sur sa chaise, et d'un coup d'aile la balaya de ces excréments. Puis il reprit sa forme normale, et s'assit à nouveau, l'endroit aussi propre qu'il l'était précédemment.

- Dans mes terres je l'aurais fait exécuter pour l'exemple, mais ici je n'ai nul besoin de le faire ; ce jeune sot crut se venger, qu'il reste satisfait de son acte stupide, il ne me fallut qu'un instant pour résoudre cet acte et les efforts intestinaux de son animal à néant. Je me souviendrais juste de sa vengeance volontaire à un acte involontaire : ce n'est point de ma faute si cette taverne est dépourvue de latrines.

Oubliant cet incident et cette vengeance scatophile qu'il se plaisait à qualifier de ridicule, le druide se leva et s'en vint prendre un bon bain frais dans les sources naturelles alimentant le village.

Le druide, de retour de la caserne, s'attabla lourdement.
Ses blessures le faisaient légèrement souffrir, mais c'était la fatigue qui le dévorait.
Cet ours et ces loups étaient des adversaires d'un genre nouveau,
les entraîneurs avaient visiblement cherché à les éprouver.

- Fichtre, tavernier, dis-moi combien de personnes sont mortes dans ce fichu village !

Il n'y eut aucune réponse. Le druide préféra l'hypothèse de l'absence de ce dernier à toutes les autres, incluant celle qui supposait qu'il n'osait pas dire de chiffre.

Le paladin entra sur ces mots, et s'attabla tout aussi lourdement. Sa fatigue était tel, que même son armure ne cliquetait plus joyeusement.

- Et bien mon cher Corne d'Or, je ne recommencerais pas ce genre de chose avant au moins demain à l'aube! Il me faut absolument me reposer. Et astiquer mieux que ça ma lame! Sinon, elle risque fort de s'émousser aussi vite que la volonté d'un barde face à une horde de trolls! Comptez-vous coucher ici?