Le druide déposa délicatement la jeune femme presque morte sur le sol froid de sa chambre.
Il alla chercher sa propre paillasse afin qu'elle soit dans une posture plus confortable, et tenta de la faire parler.

- Balbereith, si tu m'entends, réponds-moi.

Il écouta.

- Messieurs, je crois que tout va pour...

Balbereith tenta de se redresser utilisant toute la discipline qu'elle pouvait... Mais sombra dans l'inconscience, les yeux fiévreux...

Corne d'Or appliqua sa main glacée sur le front de la jeune femme, rejetta la tête de cette dernière en arrière et tenta de déceler une respiration. Un souffle rauque parvint à ses oreilles. Il rassembla tous ses esprits pour être le plus calme possible, et maintint en position la jeune femme souffrante. Ses propres blessures le faisaient souffrir, mais c'était la vie de la demoiselle qui était en jeu. Il répéta ces quelques mots en boucle afin de vérifier si elle se réveillerait :

- Si tu m'entends, serre ma main.

Xerrar pénétra dans la chambre comme une tempête.

-J'ai tous ce qu'il te faut mon ami ! Geïa m'a dicté elle même que prendre. J'ai des graines d'oranger, des racines de pâquerettes, des herbes à l'odeur extrêmement forte, une espèce de résine étrange et toutes sortes d’ingrédients dont j'ignore les propriétés. Je nous ai aussi ramené deux bières.

Le jeune chasseur aperçu l'élementaliste mal en point. Elle tentait vainement de parler.

-Ne parlez pas, dragon. Reposez vous, nous allons vous veiller toute la nuit durant. Dites moi Corne d'Or, vous pensez que vous pourrez faire suffisamment de breuvage pour nous trois ?

Le druide saisit la besace et fouilla activement son contenu. Jetant les objets en divers tas sur le sol, il dit :

- Il y a là de quoi guérir un ours ; cela fera l'affaire pour nous trois. Cependant je préfère m'assurer que la magotte ait reçu clairement assez de breuvage avant que nous ne prenions notre ration. Cela pourrait prendre quelques heures, tu n'y vois aucun inconvénient ?

Organisant les ingrédient dans une disposition étrange, il ajouta :

- J'aurais besoin d'un feu et d'un récipient. Peux-tu préparer cela dehors je te prie ?

Enfin, il mélangea la résine à de la poudre orange et colla la mixture sur chaque blessure corporelle subie par la magicienne. Enfin, il ferma les yeux de la jeune femme et regarda Xerrar, attendant sa réponse.

Xerrar semblait hors de lui. Il déversait frénétiquement de l'herbe de bison dans sa pipe, mais cette dernière était pleine. De nombreux grammes d'herbe jonchaient le sol quand l'information parvint enfin au chasseur.

-J'y vais mon ami.

Xerrar but le fond d'une vieille flasque. A en juger par l'expression de son visage, cela devait être du Sang de la Nature bien mure... Il sortit deux pierres et entreprit de faire un feu sur le palier de la chambre. Une fois que le feu prit, il alluma sa pipe...

Le druide, absorbé par la préparation de ses herbes, ne constata pas l'état malheureux de son compagnon qui sentait pourtant l'alcool à plein nez. Il hachait, mélangeait, brûlait des herbes, saupoudrait le résultat sur de la résine, se servait allègrement dans le tas d'ingrédients, pressait des plantes pour en extraire le jus, répartissait le tout dans des godets alignés et dont chacun se teintait de couleurs différentes. Frénétiquement impliqué dans son travail, il tentait d'investir le temps le mieux possible. Une fois que tout était prêt, il apporta tous les ingrédients près du chasseur.

- Mais... Qu'est-ce que ?!

Il n'était pas l'heure de faire des remarques, il balança une grande écuelle sur le feu, la remplit de jus, y versa divers ingrédients, remua le mélange, en ajouta de nouveaux... Le tout bouillait lentement, et les deux hommes armés de spatules faisaient la fusion du remède s'opérer.

-Je sais que l'endroit n'est pas approprié pour ce genre de chose mon vieil ami. Mais je ne pouvais pas faire autrement. Si j'avais fait ce feu à l’intérieur j'aurais intoxiqué Balbereith, et si je l'avais fait dans la rue... Balbereith est mourante, tu as vu le temps qu'il faut pour descendre es maudits escalier ?!

L'espace d'un instant Xerrar avait retrouvé toute sa lucidité. L'effet de l'alcool semblait s'être estompé... C'est ce moment précis que Xerrar choisit pour aller chercher les bières qu'il avait ramené.

-Tiens mon vieil ami. Ne me dis pas que tu as besoins de tes deux mains pour mélanger cette mixture ?

Effectivement, le jeune chasseur tenait en sa main droite la flasque du tavernier et touillait de sa main gauche la salvatrice mixture, tout en continuant à fumer sa pipe...

Le druide accepta la bière et la but d'une traite, absorbé par l'évolution de son remède.

- Merci pour tout ce que tu as fait, mon ami. On peut dire que maintenant, la petite s'est faite bizuter ! Elle mérite sa place parmi nous, et nous n'avons pas su assez la protéger. la prochaine fois, il devra en être autrement.

Corne d'Or versa de nouveaux produits dans la marmite, et remua le liquide de plus belle.

- La potion devrait être bientôt prête, mon ami.

-Sa puissance n'a d'égale que son intelligence mon ami. La compter dans nos rang serait un atout indéniable. De plus, je me fais petit à petit à sa... différence. Elle mérite entièrement sa place.

Xerrar finit sa flasque de bière et considéra gravement le druide. Il laissa s'échapper un nuage de fumée qui alla danser sur le plafond, dessinant tantôt un dragon, tantôt une jeune femme. La fumée dessina ensuite un incendie, une bataille, un cimetière...

-J'ai failli tous nous tuer ce soir... Je te pris de me pardonner Corne d'Or. Je ne sais pas ce qui m'a pris...

- Ce n'était pas de ta faute, ami. Ils étaient supérieurs en nombre et en puissance, il devait en être ainsi. Et il n'y a rien à pardonner tant qu'il reste un espoir, jeune homme.

Le druide lâcha le dernier ingrédient, un beau morceau de gingembre, dans la mixture. Elle serait prête dans quelques minutes. Il sortit sa propre pipe, taillée dans un beau morceau de bruyère, et tassa son herbe au goût de pain d'épice dans le fourneau. Il saisit par la suit un morceau de bois enflammé et aspira le feu à travers le fourneau, embrasant l'herbe sèche.

- Je vois que tu sais faire des dragons de fumée, l'herbe de bison est parfaite pour créer de jolis volutes modulables. Je te ferais goûter la mienne par la suite.

-Il est vrai que ma vie s'est révélée solitaire. Tu as été la première personne avec qui j'ai lié une amitié qui n'avait aucun but personnel. Mes missions impliquaient que je me fasse des relations afin que je parviennent à mes fins. Lorsque j'installait mon campement, le soir, je contais les légendes que l'on m'a apprises. Je me suis alors entraîné à les recréer avec la fumée de ma pipe.

Xerrar souffla une nouvelle bouffée de fumée épaisse. Cette fois ci, elle dessina un vieil homme avec un corbeau sur l'épaule. Le corbeau s'envola et le druide s'évanoui. Puis une femme en robe se détacha du plafond. Xerrar souffla sur les volutes de fumée qui se transformèrent en dragon.

Le druide déversa un liquide amer dans la bouche de la jeune femme et la fit avaler la moitié de la mixture préparée. Son état était grave, il fallait désormais attendre et constater les résultats. Sa pipe au bec, il aspira une grande bouffée de fumée et la recracha, ne formant aucune autre sculpture qu'une étrange rune. Et l'espoir revint dans le coeur de chacun.

- Cette rune celte est celle de l'espoir. Elle vivra, désormais je peux le dire. Je n'ai jamais cherché à représenter des choses par la fumée de ma pipe, mais cette herbe celte, que nous appelons L'Âme-Stèle d'Hämmer, reproduit les émotions et parfois l'avenir. Nous avons vu l'avenir. Contemplons les émotions...

Le druide aspira une nouvelle bouffée de fumée, et la recracha en un nuage épais. Se dessinèrent alors quatre silhouettes, proches les unes des autres. Un dragon blanc, fier et droit. Un chasseur de primes, la main sur l'épaule du suivant. Un jeune druide, aimé par sa tribu. Et enfin, un Barde malchanceux.

- Cette émotion, ce sentiment, c'est celui de l'amitié et de la cohésion.

Xerrar contemplait Balbareith qui se débattait.

-Elle semble se battre comme si sa vie en dépendait... Si cela avait été quelqu'un d'autre je n'aurais rien cru en ces paroles. Mais toi, druide, choisis par Geïa, dis qu'elle vivra, alors je suis pérsuadé qu'elle vivra.

Xerrar s'approcha de Corne d'Or et lui tendit sa pipe.

-Veux tu goûter mon tabac ? C'est ce que ma famille appelait le Soü-Brow-Kha. C'est une herbe qui marine dans de l'alcool de pomme de terre et qui est ensuite séchée.

Le druide saisit la pipe qui lui était tendue. Il aspira une longue bouffée de fumée, et une douce chaleur emplit ses poumons.

-Oui, elle vivra, je l'affirme.

Le druide tendit sa main à la jeune femme, et la maintint afin qu'elle se stabilise.

Il relâcha un filet blanchâtre qui prit une forme étrange, involontairement. (Décidément, cette fumée est vraiment très modulable.) Il en reprit une bouffée, et parvint à former un grossier arc tordu.

- Je crois qu'il me faudra un peu d'entraînement...

Xerrar s'amusa du druide qui tentait de dessiner avec la fumée.

-Cela viendra avec la pratique mon ami !

Quand le jeune chasseur se retourna pour s'assurer que Balbereith allait bien, il l'a vit tentant de se redresser, les yeux à demi ouverts. Il s'approcha d'elle et lui posa la main sur le front en la renvoyant doucement en arrière...

-Reposez vous, l'heure n'est pas encore venue pour vous de vous levez. Dormez dragon...

Il revint vers le vieux druide qui venait de dessiner un oeil parfaitement sphérique.

-Tu es doué mon vieil ami. Notre hôte se remet doucement de ses aventures. Sa volonté est implacable... Je ne pensais pas qu'elle serait de nouveau consciente si vite...

- L'entité qui possède ce corps est dotée d'une volonté sans faille, elle pourrait aller jusqu'aux bords du disque-monde si elle en ressentait le besoin.

Le druide partagea le reste de la potion en deux, et en tendit la moitié à Xerrar.

- À ta santé, mon ami ! Et merci pour le compliment.

Il tira une nouvelle bouffée de la pipe, et la rendit à Xerrar.
Ils n'avaient pas remarqué les mouvements du dragon.